LIMOUSE

1951

© E. Pineau
portrait limouse

« Je n’ai jamais désapprouvé les spéculations des modernistes en matière esthétique, même si j’ai fondé mon art et mon enseignement à l’École Nationale des Beaux-Arts sur les canons auxquels avaient obéi les maîtres du cinquecento vénitien. Dora Maar, en 1937, se serait-elle adressée à moi pour plaider en faveur de l’entrée de Picasso dans le Dictionnaire de la Société Baudelaire, si elle avait soupçonné que je nourrissais des préjugés défavorables à l’égard des modernistes ?

En revanche, je n’ai jamais appelé à la tolérance vis-à-vis des potentats du modernisme. Ceci dit, dans les âpres combats auxquels ces gens-là se sont livrés dans l’espoir de jeter sur moi une réelle déconsidération, j’ai été agréablement surpris de me nouer, voire de renouveler, des alliances privilégiées. Je pense à Malraux que je connaissais depuis 1929, Malraux, zélateur du modernisme, qui me décerna néanmoins les distinctions les plus prestigieuses. Je pense également à Camus et à Amrouche qui nous obtinrent un financement pour que ne s’essoufflent pas trop expéditivement les discrètes campagnes que la Société Baudelaire avait engagées pour dénoncer l’intolérance moderniste. Et comment omettrais-je de citer, dans ce contexte, le Britannique Graham Sutherland ? Il m’exhorta à instituer en Angleterre une biennale d’art contemporain, à l’instar de celle que j’avais instaurée en France en 1951.

Un mot, si vous le voulez bien, sur cette Biennale de Menton que j’avais dotée d’une structure qui veillait à un parfait équilibre entre l’orientation moderniste et d’autres, plus respectueuses de la tradition. Qu’advint-il de cet équilibre auquel j’étais parvenu, équilibre discerné, entre autres, par Matisse, par Georges Wildenstein et par ceux qui avaient patronné l’événement, le président de la République, Vincent Auriol, ou le prince Rainier ? Après s’être maintenu quelque temps grâce aux efforts obstinés de Dehove, de Mauchant et de quelques fidèles comme Cavaillès ou Caillard, cet équilibre, auquel nous attachions une si grande valeur, fut altéré, ébranlé. Les coupables ? Des modernistes qui s’infiltrèrent dans le comité d’honneur. Pourquoi ? D’abord pour alimenter un complexe d’infériorité parmi les membres du conseil d’administration, attisant leur crainte d’être taxés de passéisme. Et puis surtout, ce conseil avait été encouragé à introduire parmi les exposants, des peintres figuratifs d’une médiocrité si confondante que leur promotion, expertement orchestrée par les modernistes, disqualifia irrémédiablement auprès des visiteurs, la peinture qui se revendiquait de la tradition. Confronté à une telle malignité, ce dernier bastion de la résistance à l’hégémonie moderniste qu’aurait dû incarner notre biennale sera pris d’assaut par les avant-gardistes « beaubouriens », alors qu’il aurait pu être inexpugnable. Pour cela, il eût fallu démontrer un courage sans faille, le courage que manifestèrent Chagall, Villon, Lorjou et d’autres qui m’exhortèrent à ne pas capituler.

Peu avant de quitter le pouvoir, Malraux favorisa la recherche ambitieuse d’un local à Paris. Ce lieu devait abriter, entre autres, mes œuvres sur Les Fleurs du Mal et des vitrines consacrées aux combats documentés, jadis livrés par la Société Baudelaire, contre les apôtres d’un art qui ne relève plus de l’esthétique, mais exclusivement de la spéculation. Après avoir renoncé au pouvoir en 1969, la promesse de l’ancien ministre fut très vite rompue par ses successeurs. Trois décennies plus tard, Pandraud renouvellera dans un courrier la promesse d’un local, promesse, naturellement, sans lendemain. »

Salon des Echanges

Le « Salon des Échanges » fut mis en pratique par Raymond Duncan, frère d’Isadora, à Onchismes en Épire, pendant les guerres balkaniques de 1912-13. En 1921, ce salon du troc trouvera une nouvelle application concrète à Paris grâce à sa définition, introduite par Limouse dans le Dictionnaire de la Société Baudelaire. Jusqu'en 1938, le salon, animé par Henry Ramey, permettra aux commerçants, agriculteurs et industriels qui se considéraient comme étrangers à l'expression de la beauté, d'échanger directement leurs offres de service contre des œuvres d'art de leur choix, créées par des artistes désargentés, proscrits par l’oligarchie moderniste. Ce salon dissident, dont la presse internationale se fit l’écho, sauvegardait ainsi l’honneur d’artistes déconsidérés en leur faisant gagner l'estime de leurs acheteurs sous forme de règlement en denrées alimentaires, en charbon, en soins médicaux et dentaires, en services d'avocat ou en séjours dans des lieux de plaisance.

Catalogue Salon des Echanges

« Ce salon du troc de la porte de Versailles fut une idée merveilleuse que l’on doit à Raymond Duncan. Certes, je l’avais restructurée pour qu’elle fût appuyée par la Société Baudelaire. Très vite, elle prit corps grâce à l’ardeur combative dont rivaliseront nos baudelairiens comme Maximilien Gauthier, Ramey et quelques autres. Voilà comment, à partir d’une simple définition destinée à la Société Baudelaire, des peintres faméliques de l’École de Paris ont pu échanger leurs toiles contre des poules pondeuses, voire un cochon vivant, contre des cours de français, que sais-je ! sans jamais porter atteinte à leur amour-propre, à leur dignité. »

Lettre Dora Maar

Dora Maar, qui fut confortée dans sa vocation de photographe par le soutien de la Société Baudelaire. Lettre adressée au baudelairien et exégète de Courbet, Marcel Zahar, qui présenta Dora Maar à Limouse en 1937.

La couverture de la première biennale d’art contemporain en France

La première biennale d’art contemporain en France, conçue par Limouse en 1949 pour fédérer une résistance internationale à l’hégémonie exercée par les « modernistes ».

La première biennale d’art contemporain en France
Carte Vava Chagall

Les souhaits de fin d’année présentés à Limouse par Vava, dernière épouse de Marc Chagall, invité d’honneur de la Biennale en 1968. Chagall compta parmi les rares célébrités à manifester sa loyauté envers Limouse et son programme pour la biennale.

Lettre de segonzac biennale menton

Parmi les artistes qui se mobilisèrent pour défendre la biennale de Limouse, Jacques Villon et Dunoyer de Segonzac.

Lettre villon
Lettre anthonioz

Un dernier témoignage de l’estime accordée à Limouse par André Malraux.

soustelle oxford

L’hommage solennel que Jacques Soustelle, représentant l’Académie française, adressa à Limouse (à gauche) le 18 octobre 1985. À cette occasion, une fastueuse réception fut donnée à l’université d’Oxford en l’honneur de Limouse, peintre des Fleurs du Mal, exégète du poète et défenseur des convictions esthétiques de Baudelaire, critique d’art.

© Eric Pineau