LIMOUSE

« Les véhémences et les brutalités de sa palette, la richesse de ses accords aux amples aplats éclatants, ses coups de pinceaux fougueux, qui semblent vouloir arracher les objets aux limites du tableau, contrastent avec la modestie et le calme du peintre. L’analyste, devenu professeur de perspective mathématique à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts, poste créé pour lui, passe des heures entières à décomposer un tableau et à en recomposer l’anatomie avec une science dont fort peu de peintres possèdent aujourd’hui le dixième ; aussi quand il « parle peinture », Limouse donne-t-il vraiment l’impression d’être allé au fond, de connaître ses problèmes, d’avoir éprouvé les mystérieux détours de la création. »

Pierre Cabanne, 1963

L’IDÉAL

... toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange,

Qui tors paisiblement dans une pose étrange

Tes appas façonnés aux bouches des Titans !

L’IDÉAL

Ce tableau saisissant, aux couleurs flamboyantes, illustre le contraste exprimé par Baudelaire, dans le sonnet cité en légende, entre les parodies insipides de la beauté et le « rouge idéal » du poète, dont l’artiste nous livre ici sa propre interprétation. Délaissant résolument les ternes coloris pour le rouge, Baudelaire nous dit dans les tercets que son cœur ne saurait se satisfaire que d’une venimeuse Lady Macbeth ou de la puissante sculpture de « La Nuit » de Michel-Ange qui s'impose dans la chapelle des Médicis. Limouse a choisi de façonner sa toile d’après la description fortement imagée du second tercet, consacré à cette « Nuit ». Il s’attaque ici au problème de la création à partir d’une « transposition d’art », reprenant certaines caractéristiques du poème (la pose étrange, la poitrine proéminente) tout en les inscrivant dans une composition entièrement réinventée.

La femme méditative dans une pose arquée a ainsi laissé place à une beauté nue qui vient d’assouvir sa passion et se projette avec insouciance dans notre direction, tête renversée, poitrine offerte, débordant d’une couche qui ne peut être que celle de l’amour. Ses chairs, qui manifestement rougeoient encore du feu de la sensualité, mais aussi les oreillers et le mur du fond, le baldaquin et les tentures, la table dressée au bord du lit accueillant vin et fruits - qui, dans un abandon complice, se dénude de sa nappe - et cette crinière rebelle tombant en cascade vers le sol, tout dans ce tableau exalte le triomphe d'une brûlante effusion de rouges orangés qui embrasent la toile. Déclinée sur l'ensemble de la composition, cette palette enflammée répond à un souci de dramatisation qui eût réjoui Baudelaire, grand admirateur de Delacroix.

La toile de grande dimension a été largement acclamée par la critique. Frédéric Charmat notamment, releva l'ordonnance de la composition autour du nombre d’or et du X formé par le mouvement du nu étendu, permettant à l’œil d’errer dans les quatre directions depuis un centre situé entre la toison pubienne et le nombril. Il s’émerveilla de la complexe fusion entre passion et réflexion délibérée, de cette irruption lyrique en regard de la sagesse venue du fond des âges.

Philip Willoughby-Higson

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